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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/702

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du cheval. Ce qu’il me faut pour vivre, c’est le mouvement, la fatigue, l’exercice enfin. »

Vers les quatre heures de l’après-midi, M. le comte Balmaine, M. et madame la baronne de Sturmer sont venus jusqu’à la porte intérieure de Longwood ; ayant été rencontrés par M. et madame Bertrand, Thomas Reade s’en est alarmé, et s’est tenu en observation pour suivie attentivement tous les mouvements des promeneurs. Tout son corps était en agitation ; il faisait usage du télescope ; lorsque l’épaisseur du brouillard venait dérober le groupe à sa vue, nous le remarquions s’épuiser vainement à le chercher à travers la vapeur, condensée par intervalle.

J’ai vu Napoléon le soir : je l’ai trouvé à peu près dans le même état que le matin ; il m’a dit qu’il avait aperçu madame Sturmer, grâce à sa lunette d’approche. Il trouve cette dame jolie, très-fraîche.

L’Empereur a fait un vif éloge de Larrey. « C’est le plus honnête homme que j’aie rencontré, un constant et héroïque ami du soldat ; vigilant, toujours sur pied, toujours soignant les blessés, les visitant, les consolant. J’ai vu Larrey sur le champ de bataille, suivi de ses jeunes chirurgiens, chercher sans relâche un signe d’animation dans les corps étendus sur la terre. Larrey bravait tout : les froids, les pluies, les soleils. Il ne dormait jamais après le combat au milieu des plaintes des blessés. Avec lui, les généraux ne pouvaient pas abandonner leurs malades. Il fallait qu’ils lui fissent remettre exactement les fournitures que réclamait l’entretien des ambulances. Sans cela, cet homme, que nombre d’officiers supérieurs redoutaient, serait venu à moi se plaindre, et en leur présence. Il ne faisait la cour à personne ; il haïssait les fournisseurs. »

Nous causâmes ensuite du service à bord des bâtiments de guerre. Napoléon, remarquant dans mes renseignements que les matelots anglais pouvaient se chauffer au feu de la cuisine, mais que les officiers ne le pouvaient pas, demanda la raison de cette défense.

Je lui ai dit qu’il était utile, à bord, de tenir les matelots à distance des officiers.

« Moi, j’ai fait tout le contraire avec mes Français. Dans mes campagnes, j’avais l’habitude d’aller sur les lignes, dans les bivouacs ; je m’asseyais auprès du soldat, je causais, je riais avec lui. J’ai toujours tenu à honneur de rappeler mon origine. J’étais l’élu du peuple ! Mais chez vous, la morgue aristocratique ! toujours la morgue aristocratique ! Votre nation est bien la plus aristocratique de l’Europe.