Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

14. — Le gouverneur joue l’étonnement de ce que Napoléon persiste à garder la chambre. Il attribue cela à la paresse. Exécrable ironie !

L’Empereur a vu le gouverneur passer sous ses fenêtres ; il m’a dit : « Je n’aperçois jamais ce sbire, sans penser à l’homme chauffant la barre de fer pour votre Edouard II, au château de Berkley ; la nature m’a prévenu contre lui dès qu’il s’est présenté à moi : comme Caïn, Dieu l’a marqué du sceau de la réprobation. Si j’étais a Londres, et que je visse le gouverneur vêtu en bourgeois, je dirais tout de suite : Voilà le bourreau qui passe.

« Ne sachant quel supplice m’imposer en observant la lettre du bill de votre parlement, il vient entourer cette misérable demeure de grilles en fer, afin d’en faire la seconde cage de Bajazet.

« Si j’avais la physionomie du gouverneur, je concevrais la foi de vos compatriotes aux libelles de Londres, aux libelles royalistes de Paris ; chacun dirait, en me regardant avec effroi : Voyez la figure de ce tigre ! ses assassinats sont gravés sur son visage. »

28 décembre. — J’ai été appelé par le gouverneur. A la suite d’une nouvelle, d’une ardente explication et d’un refus formel de m’expliquer, quant aux conversations de Longwood, il a abusé de sa position et de son grade pour outrager un simple officier. Lorsque j’ai voulu sortir, il m’a suivi en rugissant et en m’ordonnant insolemment de me rendre deux fois par semaine à Plantation-House pour répondre à ses interrogations.

J’ai vu le docteur Baxter, et je lui ai déclaré que j’avais pris la ferme résolution de ne plus revenir à Plantation-House ni dans aucun autre lieu où serait le gouverneur, si je devais être insulté de cette façon.

2 janvier 1818. — La conversation de Napoléon a eu la révolution française pour sujet :

« Les traces des anciens priviléges des provinces et des parlements se « sont trouvées effacées. La moitié des propriétés a passé dans d’autres mains. Le spectacle de trente millions d’habitants enfermés dans les limites marquées par la nature et les siècles, ne donnant qu’une seule classe de citoyens devant les mêmes lois, a été offert par cette révolution. L’Angleterre a reconnu la république et a envoyé des ambassadeurs au Premier Consul, avant d’avoir rompu la paix d’Amiens. Si Fox avait vécu, l’Angleterre eût fait la paix avec la France. En signant l’ultimatum à Chaumont, Castlereagh a reconnu l’empire. »

Le gouverneur m’a fait encore appeler chez lui à Plantation-House ; je m’y suis rendu. Il a discuté pour établir que je n’avais pas été nommé