Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/730

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Hudson Lowe était moins impatient. Il fallait qu’il nous tendît un piége ; il avait besoin de quelques heures pour le méditer. Il nous fit prévenir que nous ne pouvions entrer immédiatement dans le port, mais que nous y serions admis le lendemain au point du jour. Je fis demander en quel état se trouvait Napoléon. « Bien, très-bien, répondirent ses envoyés ; il jouit d’une santé vigoureuse, il se porte mieux que nous. » Ils se retiraient, lorsque nous vîmes arriver des façons de canots qui vinrent voltiger autour du bâtiment. Je n’étais pas dupe de la manœuvre, mais je fus curieux de savoir au juste à quoi m’en tenir. « Que cherchent-ils ? dis-je au capitaine. — Ce sont des pêécheurs. — Sans doute ils ont du poisson ? Demandez qu’ils nous en vendent. » Il le fit, mais ils n’avaient pas encore jeté leurs filets. Ils s’éloignèrent ; ma fantaisie les avait déconcertés, on ne s’avise jamais de tout : des gens de cette livrée n’étaient d’ailleurs pas faits pour déjouer les trames que nous pouvions avoir ourdies. Lu gloire d’intercepter une lettre, un chiffon, d’assurer en un mot le repos du monde n’appartenait qu’a Son Excellence, à Reade ou à Gorrequer.

Nous n’avions rien confié aux pêcheurs de sir Hudson, nous devions avoir tout le plan de la conspiration sur nous : aussi redoubla-t-on de vigilance. Nous n’étions pas entrés dans le port, que déjà nous étions examinés, visités, surveillés, hors d’état de soustraire le moindre mouvement aux aspirants qu’on avait mis de garde à bord. Toutes ces précautions n’empêchèrent pas les écrits d’aller, non par nous, mais par notre brave capitaine qui pourtant n’en pouvait mais. Un mauvais plaisant lui avait confié à Deptford dix-sept exemplaires cachetés d’un livre de dévotion, adressés a divers habitants de Sainte-Hélène. Je jugeais bien au format que la production n’était pas biblique, je croyais même reconnaître ce qu’elle était. Mais le corsaire s’était fait payer le fret, ce n’était pas à moi à lui conseiller de retenir la marchandise. Il les retira un à un de sa caisse, et les expédia par le canal de l’aspirant. Tant mieux ! on allait devenir plus anglican à Sainte-Hélène. Pendant que nos marins se disposaient à répandre la parole de Dieu dans l’île, Son Excellence prenait lecture de la missive de lord Bathurst, et nous dépêchait un de ses officiers. Hudson nous autorisait à descendre ; il voulait nous voir. Nous nous rendîmes au château ; nous fûmes accueillis, reçus avec une grâce, une politesse dont nous ne revenions pas. Sir Hudson nous présenta à l’adjudant général, au major, à tout ce qu’il y avait d’hommes qui eussent sa confiance dans la place. Il était affable, affectueux, il s’intéressait aux moindres détails de la traversée. Il