Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/733

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tendu à Londres, et des maisons qu’ils fréquentaient dans cette capitale. Il devenait évident que j’excitais des soupçons, des défiances, que j’avais été desservi. Comment cela s’était-il fait ? je ne pouvais le pénétrer. Le jour vint, j’attendis avec résignation que cette affaire se dénouât. Je reçus dans la matinée une troisième visite du comte Bertrand. Il me demanda un rapport écrit et détaillé sur le lieu de ma naissance, mon âge, ma famille, les villes où j’avais fait mes études. Il me demanda où et depuis quelle époque j’avais exercé, si j’avais servi ; à quelle partie de la médecine je m’étais plus spécialement appliqué. Je fis sur-le-champ ce résumé ; je le lui adressai avec mes diplômes, mes papiers, et la lettre du cardinal. Buonavita, Vignali furent obligés d’en faire chacun autant.

C’était une triste réception après un si long voyage : mais le cardinal Fesch n’avait pu, au milieu des graves soins qui l’occupaient, trouver un instant pour écrire, soit à l’Empereur, soit au grand maréchal. Aucun membre de la famille n’avait réparé cette négligence, nous étions envoyés par le gouvernement anglais, recommandés par le ministère, fêtés par le gouverneur, c’en était plus qu’il ne fallait pour éveiller la défiance. Une autre circonstance contribua à donner à cette affaire l’air d’une intrigue. Le cardinal, qui n’avait pu nous munir d’une lettre de créance pour Sainte-Hélène, avait eu néanmoins assez de loisir pour concerter le moyen de faire de Vignali le médecin de Napoléon. Il avait écrit au comte Las Cases à cet égard ; il l’avait prié de recommander le missionnaire à l’Empereur. Las Cases ne jugea pas convenable de travestir un prêtre en médecin, et se borna à remettre la missive de Son Éminence à l’abbé qui, tout empressé de la rendre, était loin de prévoir l’effet qu’elle produisit. Tout s’arrangea cependant. Nous étions Français, nous étions Corses ; nous ne pouvions à ce double titre être les agents des Anglais ; Napoléon nous admit à son service.

Je me disposai en conséquence à aller chercher les effets qui étaient restés sur le bâtiment. Je pensais aller seul, sir Hudson nous avait tant protesté que nous pourrions circuler librement dans l’île ; mais l’officier d’ordonnance de Longwood avait des ordres : je fus obligé d’accepter l’offre qu’il me fit de m’accompagner. Je me rendis à bord du Snipe ; j’étais gardé à vue, aucun de mes mouvements n’était perdu. Quelle fut ma surprise ! notre capitaine était dans la même position. « Pourquoi des gardes ? Quel accident ? — Ce coquin de gouverneur ! — Eh bien, quoi ! sir Hudson ?… — M’empêche de mettre pied à terre,