Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/758

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Quoi ! Qu’as-tu ? » Et l’Empereur le faisait sauter, rire malgré lui. « Ce petit drôle-là, me dit-il en le quittant, est aussi entier que je l’étais à son âge ; mais les emportements auxquels je m’abandonnais souvent étaient mieux motivés. J’avais cinq à six ans. On m’avait mis dans une pension de petites demoiselles, dont la maîtresse était de la connaissance de ma famille. J’étais gentil, j’étais seul, chacune me caressait. Mais j’avais toujours mes bas sur mes souliers, et, dans nos promenades, je ne lâchais pas la main d’une charmante enfant qui fut l’occasion de bien des rixes. Mes espiègles de camarades, jaloux de ma Giacominetta, assemblèrent les deux circonstances dont je parle, et les mirent en chanson. Je ne paraissais pas dans la rue qu’ils ne m’escortassent en fredonnant : Napoleone di mezza calzetta fa l’amore a Giacominetta. Je ne pouvais supporter d’être le jouet de cette cohue. Bâtons, cailloux, je saisissais tout ce qui se présentait sous ma main, et m’élançais en aveugle au milieu de la mêlée. Heureusement qu’il se trouvait toujours quelqu’un pour mettre le holà et me tirer d’affaire ; mais le nombre ne m’arrêtait pas : je ne comptais jamais. » Les enfants se retirèrent ; la conversation devint sérieuse et tomba peu à peu sur les événements qui suivirent le retour d’Égypte. Il entra dans une foule de détails, de particularités au sujet de la bataille de Marengo, et fit une relation de cette journée.