Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/765

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rait fait un quart de conversion ; couverte par ses pièces, elle eût fait une bonne décharge, et la cavalerie n’aurait pas même attaqué. »

24. — Fièvre, douleur à la tête ; l’Empereur ne peut dormir. Le mal continue.

25. — La nuit a été meilleure ; la fièvre s’est terminée par une sueur abondante. L’Empereur se trouve mieux.

Il était sur son texte ordinaire. Il me parlait de la Corse, de ses montagnes, des instants de bonheur qu’il y avait passés. Il en vint à Paoli. « C’était un bien grand homme que Paoli ; je l’aimais, il nous chérissait tous. Nous étions à Corté quand il prit la funeste résolution de faire passer la Corse sous la domination des Anglais. Il m’en fit d’abord un mystère ; Gentili ne m’en parla pas non plus. Quelques mots lâchés par méprise me donnèrent l’éveil ; je récapitulai ce que j’avais vu, entendu ; je ne doutai plus de leur dessein. Nous étions loin de compte ; je m’en expliquai plusieurs fois d’une manière indirecte. Je commandais un corps de gardes nationales ; il fallut bien me mettre dans la confidence. Ils ne désespéraient pas d’ailleurs de triompher de mes idées, de mon antipathie ; ils me proposèrent d’agir de concert avec eux. Je n’avais garde ; je ne respirais que la France, je ne voulais pas débuter par la trahir. L’amitié de Paoli m’était chère ; il m’en coûtait de rompre avec lui ; mais la patrie ! C’était mon étoile polaire. Je m’éloignai ; je gagnai Bocognano. J’y fus atteint par les montagnards, enfermé, gardé par quarante hommes. La position était critique, je trouvai cependant le moyen d’en sortir. Je liai conversation avec un bon homme de capitaine, qui me comblait d’égards, s’excusait, regrettait d’être obligé d’obéir. Il m’invita à prendre l’air, j’acceptai ; j’envoyai mon domestique se placer à cinq ou six cents pas sur la route, et mon geôlier n’avait pas tourné la tête, que j’étais sur mon cheval. Il cria, appela aux armes ; mais le vent m’emportait ; j’étais hors d’atteinte avant qu’il eût fait feu ; j’arrivai à Ajaccio, les montagnards étaient sur mes traces ; je fus contraint de demander un asile à l’amitié. Barberi me reçut, me conduisit à la côte d’où j’allai à Calvi rejoindre Lacombe Saint-Michel. J’avais échappé aux partis, aux postes, à la police ; on n’avait pu m’atteindre ; Paoli était désolé. Il écrivait, se plaignait, menaçait : nous trahissions ses intérêts, ceux de notre patrie ; mes frères et moi nous ne méritions pas les sentiments qu’il nous portait. Nous pouvions revenir cependant, il nous tendait les bras ; mais si nous étions une dernière fois sourds à ses conseils, insensibles à ses offres, il ne ménagerait plus rien. L’exécution fut aussi prompte que