Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/809

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vous semiez les monuments, les routes, les constructions, tous les établissements utiles. Puis, votre administration était si ferme, si rapide ! — Vous avez raison : c’était une machine immense dont tous les rouages étaient parfaitement adaptés. J’en exposai le jeu et la raison au corps législatif. Je fis effet : l’Italie goûta les principes que je développai. »

19. — Depuis le 15, l’Empereur a successivement perdu et repris ses forces à divers degrés.

20. — Napoléon est exténué. « C’est donc bientôt ? — Non, Sire, l’irritation se calme. — Toujours, docteur ! quand vous lasserez-vous de promettre la santé ? — Quand elle sera venue. — En ce cas, vous promettrez longtemps. — Moins que Votre Majesté ne pense ; et, pour peu qu’elle puisse faire usage d’eaux thermales — Vous croyez qu’ils l’accordent ? — Refuser, les mettrait trop à découvert ; ce serait avouer l’assassinat. — Pauvre capocorsino ! vous ne les connaissez pas. »

Il suivait des yeux un nuage qui se dessinait au loin. « Quel effet les nuages font-ils sur nous ? quelle influence exercent-ils sur celui qui les respire ? Ils doivent amener à chaque instant une rupture d’équilibre, déterminer une contraction musculaire, une tension qui ne peut qu’être funeste, et conduire à la mort ; car enfin nous sommes soumis aux lois qui régissent les autres corps ; nous enfermons du fluide ; nous le sentons, nous l’éprouvons à ces irritations nerveuses qui marquent les temps d’orage. Placer un homme dans les nues, le faire vivre dans la sphère d’activité de ces masses qui changent, passent, reviennent à chaque instant, c’est le condamner à une série de chocs, de décompositions, qui doivent promptement épuiser la vie ; c’est le soumettre à l’énergie dévorante de l’armure de Galvani : dis-je vrai ? » J’en convins. « C’est que je suis à moitié de votre robe. Je sais presque, à ne m’y pas méprendre, ce qui doit résulter de telle ou telle situation. Un homme, par exemple, que l’on placerait dans un bain de vapeur, auquel succéderait tout à coup une chaleur excessive, éprouverait une désorganisation analogue à celle d’un corps humide qu’on expose subitement à l’action du feu. Il se déjetterait, se tourmenterait, épuiserait bientôt sa puissance et sa force : ne le pensez-vous pas ? »