Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/859

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jamais. Nous emportâmes quelques branches de saule, triste consolation que le poste n’eut pas le courage de nous refuser. Nous arrivâmes à James-Town. Le temps n’avait pas suffi, il y avait encore une foule de caisses à terre ; le départ était remis au lendemain. Hudson nous attendait avec son épouse, il nous pria à dîner ; nous acceptâmes. Le banquet fut magnifique ; Lowe était presque aimable : on eût dit qu’il n’avait plus ses clefs. Nous fûmes bien détrompés lorsque nous arrivâmes au vaisseau : c’était, comme on nous l’avait dit, un bâtiment sale, étroit, qui servait à transporter les bœufs, les porcs, les moutons, etc., que consommait l’île. Le rapprochement était ingénieux, le choix digne de la main qui l’avait fait. Nous étions entassés pêle-mêle sur un bord infect ; mais nous échappions aux verrous. Le temps était beau, le ciel sans nuages, nous levâmes l’ancre le 27 mai, et nous nous éloignâmes de cette station malheureuse que pourtant nous regrettions.

Le vent enflait nos voiles, le jour baissait, Sainte-Hélène se perdait à l’horizon, nous saluâmes une dernière fois cet horrible écueil, et nous cherchâmes chacun un peu d’espace où nous pussions reposer. La chose n’était pas facile, les caisses couvraient le pont ; de la poupe à la proue, ce n’était que meubles, que ballots, et Hudson avait encore jeté sur ce faible bâtiment, qui n’était pas de l’échantillon d’une corvette, deux cents soldats qu’il envoyait en Europe. L’on fut obligé de se blottir au pied des mâts, sur les affûts, partout où l’on pouvait appuyer sa tête.

Nous avions dépassé le tropique, atteint l’équateur ; le ciel brillant, azuré, facile, rendait cet entassement moins cruel. Nous ne tardâmes pas néanmoins à en ressentir les effets. Les douleurs abdominales se manifestèrent bientôt, les flux de ventre se déclarèrent ; nous fûmes menacés de tous les ravages que la dyssenterie exerce à cette latitude. Nous redoublâmes de soins, nous fîmes usage de médicaments, de bains d’eau salée ; nous réussîmes à les arrêter ; nous ne perdîmes que quelques soldats.

Nous avions échappé aux maladies, mais notre voyage se prolongeait ; nos volailles avaient péri, nous n’avions plus de viande fraîche ; l’eau, les provisions allaient se trouver à bout, lorsque nous aperçûmes les Açores. Nous étions accablés de chaleur et de fatigue ; c’était la première station que nous rencontrions. nous priâmes le capitaine de mettre en panne et de nous faire acheter quelques comestibles. Il avait ordre de ne pas prendre terre ; nous n’étions plus qu’à dix journées de Portsmouth, il refusa. Madame Bertrand était toujours souffrante, ne se remettait qu’avec peine de la maladie qu’elle avait faite à bord : nous