Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/864

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Il m’assura ensuite, à diverses reprises, de la bienveillance et de la satisfaction de l’impératrice, au nom de laquelle il m’offrit une bague, que je conserve précieusement.

Toutes les personnes attachées au palais étaient en grand deuil ; je laissai percer ma surprise. « Comment, me dit Son Excellence, vous ignorez que c’est par l’ordre exprès de l’archiduchesse ? La funeste nouvelle lui fut donnée par le prince de Metternich ; elle en fut consternée, abattue : elle voulut associer toute la cour à sa douleur, que chacun donnât des regrets à celui qu’elle pleurait. Elle décida que le deuil serait de trois mois, qu’on ferait un service solennel, qu’en un mot on ne négligerait aucune des cérémonies que la piété de ceux qui vivent consacre à ceux qui ne sont plus. Elle y assistait elle-même, elle se plaisait à rendre a Napoléon mort le culte qu’elle lui avait voué pendant sa vie. — Et le prince ? — Va à merveille. — Il est fort ? — D’une santé à toute épreuve. — D’espérance ? — Il étincelle de génie ; jamais enfant ne promit tant. — Il est confié à d’habiles mains ? — A deux hommes de la plus haute capacité, deux Italiens qui lui donnent à la fois une éducation brillante et solide. Chéri de toute la famille impériale, il l’est surtout de l’empereur, du prince Charles, qui le surveille avec une sollicitude sans égale. » Nous étions debout ; Son Excellence y avait mis une bienveillance infinie, je n’osais pousser plus loin mes questions. Il s’en chargea : « Savez-vous, me dit-il, de qui sont les tableaux qui semblent fixer votre attention ? — Je l’ignore, mais ils sont d’un fini, d’une touche… — Qui n’appartiennent qu’à l’impératrice : ces jolis paysages sont dus à son gracieux pinceau. » Je me rappelai qu’en effet Napoléon m’avait souvent parlé de la perfection dont elle peignait le paysage. Je rejoignis le chevalier Rossi, et, la nuit venue, nous allâmes au spectacle ; sa loge était en face de celle de Marie-Louise. On jouait la Cenerentola. Je savourais cette délicieuse musique, qu’exécutait le premier orchestre de l’Italie, lorsque l’impératrice parut. Ce n’était plus ce luxe de santé, cette brillante fraicheur dont Napoléon m’entretenait si souvent ; maigre, abattue, défaite, elle portait les traces des chagrins qu’elle avait essuyés. Elle ne fit pour ainsi dire qu’apparaître.

Je me remis en route, j’arrivai à Florence, où je fus présenté au grand-duc, qui m’adressa une foule de questions sur Sainte-Hélène ; à Rome, où je fus admis à une audience du cardinal Fesch, qui ne m’en fit pas une !

J’écrivis au comte de Saint-Leu : il était trop affligé pour me rece-