Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/897

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le cercueil en acajou ne présenta aucune altération ; quelques-uns des clous qui en fixaient les parois étaient même brillants comme au premier jour. Les prières dites, le docteur Guillard descendit dans la fosse pour apprécier les précautions sanitaires qui étaient à prendre dans le moment. Presque aussitôt, et à l’aide de forts cordages, le cercueil fut soulevé et quitta le lit de pierre où il reposait depuis bientôt vingt années. La pluie était toujours battante. Douze soldats du 91e s’avancèrent, précédés de la croix et du prêtre, suivis des cortéges français et anglais ; ils placèrent le cercueil sur leurs épaules et le portèrent à la tente. C’est là que les prières pour la levée du corps furent terminées.

La première enveloppe fut enlevée avec précaution par le docteur Guillard[1]. Elle en laissa voir une seconde toute en plomb, parfaitement conservée ; les plombiers arrivèrent à une troisième caisse en bois des îles ; la planche supérieure fut détachée : alors le dernier cercueil, le quatrième, se présenta aux regards des assistants ; il était en fer-blanc et en bon état, quoique légèrement oxydé. Un galop de chevaux se fit entendre en ce moment ; c’étaient trois officiers anglais en grand uniforme, le gouverneur, son fils, et M. le lieutenant Touchant, officier d’ordonnance du prince, qui venaient s’informer des progrès de l’opération.

Après quelques dernières précautions, le fer-blanc fut ouvert avec le ciseau ; les assistants se rapprochèrent ; le 9le et la milice en cordon serré ceignirent la tente. La plaque fut enlevée : on aperçut d’abord un coussin de satin blanc qui garnissait à l’intérieur la paroi supérieure du cercueil ; il s’était détaché et servait comme de linceul au corps. Quels avaient été les ravages de la mort pendant les vingt années qui venaient de s’écouler ?… On trouva le corps étendu doucement, revêtu de l’uniforme des chasseurs de la garde ; l’Empereur mort portait le ruban et la grande plaque de la Légion-d’Honneur, une culotte de casimir blanc, des bottes éperonnées ; le chapeau était déposé sur les genoux. Les assistants, interrogeant la figure des témoins de la mort de l’Empereur, virent aussitôt qu’ils le retrouvaient tel qu’ils l’avaient enseveli.

Chacun voulut le voir et bien le voir ; chacun était avide de contempler ses restes si reconnaissables ; chacun se pressait parce qu’on savait que les moments étaient comptés, et que cet homme allait dis-

  1. Voir, à l’Appendice, le procès-verbal du chirurgien de la Belle-Poule.