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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/905

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tous les bruits de guerre qui agitaient la France, on y parlait de la tentative du prince Louis. Que faire alors, si l’Angleterre voulait reprendre une seconde fois son captif ? « Il faudrait, disait le prince, s’abîmer dans la mer et partager en braves gens la dernière sépulture de l’Empereur. » À cette proposition de leur chef, nos soldats répondirent par un vivat !… La Favorite se sépara de nouveau de la Belle-Poule. Des dispositions furent arrêtées par les officiers de l’équipage, et une raie blanche de batteries sut donner un nouvel aspect à la frégate. Les chambres des membres de la mission disparurent, et furent remplacées par six canons de trente ; les parcs furent garnis de boulets ; les branle-bas de combat furent multipliés. Enfin tout fut mis sur un pied qui rendait la surprise impossible. Braves gens, tous disposés à suivre dans les flots leur jeune capitaine et leur vieil Empereur. Mais cette fois l’Hôtel royal des Invalides pouvait compter sur son hôte immortel. Les vents furent propices ; la guerre s’arrêta, comme pour ne pas troubler ce grand voyage. Enfin le dimanche 29 novembre, à six heures du soir, la frégate reconnut les feux du port et les lumières de la ville de Cherbourg. Le lundi, jour suivant, le bateau à vapeur la Normandie s’avança au-devant de la Belle Poule pour la remorquer ; mais la frégate, secondée par une bonne brise, arriva sans secours en rade, et à cinq heures dix minutes du matin, après quarante-deux jours de traversée, le navire funèbre entrait dans le grand bassin du port, salué par toute l’artillerie des remparts, à laquelle répondaient au loin le fort Royal, le fort du Honnet, et le fort de Querqueville.

L’équipage passa plus d’une semaine dans Cherbourg, au milieu de l’attendrissement général. C’était à qui pourrait saluer le catafalque impérial ; religieux empressement d’un peuple qui devait à l’Empereur un demi-siècle de glorieux souvenirs. Près de cent mille âmes vinrent ainsi s’agenouiller auprès du cercueil. Les préparatifs de l’inhumation terminés à Paris, l’ordre vint de se mettre en route. Le départ fut fixé au 8 décembre.

Le 7 au soir, un autel fut élevé au pied du mât d’artimon ; le pont couvert de tentures funèbres ; le cercueil y fut déposé le 8 au matin. La frégate se couvrit de ses pavois ; une messe solennelle précéda le transbordement. A neuf heures, les troupes se rangèrent en bataille dans le port, que remplissaient déjà les populations. Les autorités, le clergé, montèrent à bord ; la Normandie présenta l’arrière à la coupée. Dix heures étaient l’heure indiquée pour la cérémonie ; mais la pluie rendit impossible le service religieux ; on sonna seulement l’absoute.