Page:Lassalle - Capital et travail.djvu/68

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Avant Hobbes, Montaigne (né en 1533) avait décrit cette société bourgeoise comme une guerre sans relâche où on en venait jusqu’aux couteaux. Quand la jeunesse se ruine, c’est le marchand qui gagne, l’écroulement des maisons profite à l’architecte ; le médecin vit de la mort de ses clients et leur enterrement paie le dîner du prêtre. Ici règne la loi : Le profit de l’un est dommage de l’autre[1]. Quand la libre concurrence s’est développée et est entrée dans la période où elle a été l’objet de la critique, on a en général typiquement appliqué le terme technique du philosophe anglais : la guerre de tous contre tous, à la concurrence libre, et il lui est resté jusqu’à nos jours. Sans le savoir, sans jamais avoir vu l’homme, vous préconisez avec exaltation l’état de nature que Hobbes désigne comme la guerre de tous contre tous. Vous courez après les hommes de pensée d’il y a trois siècles et vous vous enflammez aujourd’hui pour ce qu’ils avaient déclaré défectueux pour l’avenir, il y a à peu près trois cents ans, avant même que l’effrayante réalité des choses ait acquis sa gravité d’aujourd’hui.

Sans connaître l’histoire de ce terme : la guerre de

  1. Montaigne, Essais, liv. I. chap. XXI.