Page:Lasserre - La Morale de Nietzsche.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
LA MORALE DE NIETZSCHE

une autre mesure de la noblesse humaine que celle devant laquelle s’inclinent l’imagination et les sens misérablement éblouis. Ainsi, la rancune de l’esclave, sa soif de vengeance et de primauté lui suggèrent cet artifice grandiose : en appeler de la réalité matérielle et visible à une réalité invisible et immatérielle. La terre donne tort aux esclaves. Selon la terre, ils sont impies ; car les œuvres de la civilisation sont l’ornement et l’honneur de la terre. Il faudra donc qu’ils tirent leurs arguments d’ailleurs que de la terre pour mettre le bon droit de leur côté. Comment flétrir et déshonorer, dès ici-bas, la superbe et la puissance des maîtres, si ce n’est au nom d’une autre vie — non plus passagère, mais éternelle, dont l’ordre sera le renversement de l’ordre terrestre et où les déshérités seront les élus ? Le Paradis et tous les au-delà ont été conçus par la rancune, l’orgueil et la folle espérance des esclaves. [1]


Arrêtons-nous un instant avec Nietzsche devant cette falsification prodigieuse et songeons à ce qu’elle implique de ruse, d’ingéniosité raffinée, de moyens sophistiques. Que sont les découvertes

  1. Tout ce qui dans les idées exposées ici apparaît comme une allusion au christianisme doit être compris et apprécié d’après ce qui est dit dans ma nouvelle préface de l’origine des idées anti-chrétiennes de Nietzsche.