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LA MORALE DE NIETZSCHE

vérité plus compréhensive, à savoir : que tout emploi spécial, toute utilité limitée et définissable sont, — en un sens nullement péjoratif du mot, — serviles, c’est-à-dire regardent les serviteurs. Or, les sciences sont des spécialités. Il y faut du génie. Qu’importe ? Est spécialité tout emploi de l’intelligence qui ne se rapporte pas immédiatement à la morale, à l’homme. Les maîtres n’ont pas de spécialités parce qu’ils ont la charge des mœurs. Et cette charge devient d’autant plus lourde, demande d’autant plus de finesse et d’énergie que précisément les progrès de l’érudition — en éclairant l’humanité sur l’origine des traditions religieuses ou sociales, menacent de la rendre impatiente de toute discipline, ou que les conquêtes de l’expérience, en accroissant son empire sur la nature, bouleversent les conditions matérielles de son existence. Car il ne suffit pas que l’utilisation de la vapeur soit découverte ni que des locomotives soient construites. Il faut aussi que ces monstres ne stupéfient pas l’homme par leur énormité, ne le rapetissent pas par leur voisinage, qu’il apprenne au contraire à s’en servir pour être encore plus libre. Voilà ce à quoi les physiciens et les ingénieurs ne songent guère, et c’est, en effet, souci de maîtres. Les maîtres manqueraient donc à leur office essentiel en s’en fermant dans des laboratoires ou des bibliothèques. Comment conci-