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LA MORALE DE NIETZSCHE

grecque, un praticien qui, à force d’équarrir des pierres pour un sculpteur, eût découvert les premiers principes de la géométrie et de la mécanique. Il lui eût fallu un très sérieux respect, un amour bien fin de la beauté des Apollons et des Dianes pour ne pas se croire, par la possession de ces « vérités », bien au-dessus de l’artiste qui les ignore, — pour ne pas mettre au premier rang ce qui est au second. Le grammairien, qui sait rendre un compte minutieux des merveilles du langage et en voit le comment, risque d’oublier qu’il n’a, en comparaison avec le poète, sans qui ces merveilles ne seraient pas, que des vertus de domestique. En général, il y a danger que ceux qui ont pour fonction d’expliquer, de tirer les conséquences, s’enivrent de leur compétence spéciale jusqu’à ne plus mesurer l’étendue qui les sépare de ceux qui créent, qui osent, qui ont pris et portent les souveraines responsabilités. Ainsi l’habitude de démêler dans les cas obscurs les indications de la coutume et de comparer les droits, donne au juriste, avec une aptitude à la démonstration et à la justification tout à fait étrangère aux aristocraties (il n’y a rien de moins aristocratique que de vouloir toujours justifier ce qu’on est, ce qu’on fait), une habileté de dialectique par laquelle il peut prouver l’absurdité des plus beaux usages, d’institutions glorieuses et en pleine force : jeu de