Page:Lasserre - La Morale de Nietzsche.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
LA MORALE DE NIETZSCHE

courts horizons de la cité terrestre et se lèvent vers une éternelle justice.

Le servile s’appelle l’ « Opprimé » ; opprimé, il l’est, en effet, de la pire façon, parce qu’il se sent vil et se hait lui-même, parce qu’il ne s’estime pas assez pour servir sans un sentiment de déchéance. Mais voyez l’effet redoutable de cette majuscule, de ce grand mot isolé, de ce silence sur la cause et le genre de l’oppression ! Il semble que la responsabilité en retombe sur la terre entière et qu’il ne faudrait pas moins qu’un bouleversement total pour y mettre fin. — L’Opprimé est le Juste. Et la hiérarchie non pas seulement formelle et sociale, mais plus encore réelle et psychologique d’où sa condition résulte : — l’Iniquité. — De misérables timidités, de sottes innocences, des impuissances niaises, se promeuvent à une céleste dignité et se haussent à je ne sais quel état de pureté transcendante sous le nom d’Idéal ?

Cette résolution dans l’action, qui naît de la certitude qu’on agit droit, qu’on sait ce qu’on veut et qu’on le payera ce qu’il faut, est rabaissée au niveau de la simple brutalité sous le nom de Force. Dans la bouche de l’esclave (qui ne comprendra jamais que toute force créatrice est force sur soi-même d’abord, est morale), ce mot devient une injure. À cette abstraction, on oppose cette autre : le Droit. Mais ce droit devient lui-même