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PIERRE LASSERRE

affranchis de toute loi particulière de tenue et de beauté dans leurs imaginations, en éprouvent tout d’abord une impression de libération et de rajeunissement. Le romantisme naît de l’enthousiasme provoqué par les idéaux vides, mais grandioses, de la philosophie servile chez des hommes dont c’est l’ardent et secret besoin d’échapper, à tout prix, au sentiment cruel de la décadence qui, par eux, s’accomplit.

Le premier romantique, c’est Rousseau, celui des génies modernes en qui la morale des esclaves a atteint son plus haut degré d’ébullition. Chez Rousseau on surprend le passage des rancunes et des sensibilités de l’esclave à l’idéologie qui va les magnifier en dogmes, en vérités de raison et de sentiment. Il y a de la malice dans Rousseau, malgré qu’il s’enivrât tout le premier des fumées de cette transmutation. Après Rousseau, les romantiques se plongent et nagent innocemment dans l’océan de la Nature, de l’Infini, de l’Universel, de l’Originaire. Ils n’ont plus le caractère équivoque et sombre de leur père, si soupçonneux parce qu’il prêtait lui-même à tant de soupçon. Sont-ils cependant si naïfs et si purs ? Vigny, par exemple, dans sa tour d’ivoire ? Il y aurait une jolie psychologie, une fine classification des grands romantiques à faire, d’après ce qui s’est mêlé à leur religieuse inspiration d’anarchique amertume, d’esprit de