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LA MORALE DE NIETZSCHE

de la tragédie grecque, souffrit de l’errance, de l’incertitude perpétuelle à quoi l’absence de hauts canons esthétiques valables pour son temps et son pays le condamnaient dans sa production. Son expérience lui fournissait la substance de chaque œuvre. Mais qu’est la substance sans l’ordre qui la met en valeur, la rend claire et majestueuse, l’amplifie jusqu’à une portée universelle ? Il était contraint d’essayer, de recréer artificiellement les formes d’ordonnance d’une autre humanité, de se faire grec. Ainsi dans une époque sans traditions, certains hommes peuvent souffrir de ce qu’il n’existe rien de grand pour élever leurs activités à une signification supérieure. Ils se sentent diminués d’être des intelligences « livrées à elles-mêmes ».

« Ce seront toujours, dit Nietzsche, les natures fortes, dominatrices qui, sous ce joug, dans cette tenue et cet achèvement résultant d’une loi qu’on s’impose à soi-même, éprouveront leurs plus fines jouissances ; la passion qui anime leur très puissante volonté éprouve un soulagement à la vue de toute nature soumise à un style, de toute nature domptée et faite servante ; même lorsqu’ils ont à construire des palais ou à établir des jardins, il leur répugne de donner à la nature libre carrière. — Réciproquement, ce sont les caractères faibles, non maîtres d’eux-mêmes, qui haïssent la tenue