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Page:Lasserre - La Morale de Nietzsche.djvu/36

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PIERRE LASSERRE

lui-même revêtu des sombres aspects du milieu humain où il évolue, mais ce n’est pas lui qui les y apporte. Le xixe siècle aura été, au regard des artistes, un siècle trouble et désolé. Le bouleversement des anciennes classes sociales, l’augmentation énorme des populations, le développement des grandes villes, la formation d’immenses agglomérations ouvrières, la multiplication des moyens du bien-être matériel allant de pair avec la dureté croissante de la vie, toutes ces causes conjointes ont forcé les sociétés modernes à s’absorber dans des soins utilitaires, des « soins de ménage », comme disait Renan, et y ont beaucoup affaibli la préoccupation des lettres et des beaux-arts. Les institutions, et plus encore l’esprit démocratique, ont ruiné et rendu impossible le régime de protection dont jouissaient autrefois les hommes qu’une vocation réelle destinait à l’étude spéculative ou à la création du beau, régime dont les bienfaits leur étaient absolument nécessaires, s’il est vrai qu’il faille renoncer à la recherche de la perfection, seule raison d’être des travaux de l’esprit, quand on est obligé de demander à ces travaux un gain d’argent, les applaudissements de la multitude ou la faveur de l’État.

De telles conditions n’ont pas suffi pour tuer