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PIERRE LASSERRE

dire que le but de Nietzsche, ç’a été de démasquer, de forcer à reconnaître le vice anarchique dans la plupart des principes et des sentiments dont l’époque moderne s’enorgueillit comme de ses plus nobles conquêtes morales et qui en forment comme l’air respirable… ou irrespirable.

La philosophie, ou mieux la psychologie de l’anarchisme est donc dans l’œuvre de Nietzsche plus qu’un article important. Elle est le centre et la source de tout. Elle fera l’objet propre de ces pages où l’on s’étonnera peut-être de ne pas trouver le ton froid et « impartial » de l’exposé critique. Mais pour nous, comme pour un certain nombre d’hommes de notre génération, le nietzschéisme fut moins une révélation qu’un adjuvant. L’audace et l’éloquence de Nietzsche, mises au service des conclusions qu’allait nous imposer de plus en plus l’expérience des idées modernes et de leurs fruits, ont surtout activé et enhardi notre libération intellectuelle. Qu’on nous excuse si, au récit des vues essentielles de ce grand médecin moral, s’est mêlé, malgré nous, l’accent de notre propre observation et la chaleur de fièvres que nous traversâmes aussi. Nous nous flattons que cette méthode toute spontanée n’aura pas nui à la véracité de notre interprétation. Nietzsche ne se comprend pas très bien du dehors.