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PIERRE LASSERRE

Contre cet idyllisme, généreux d’apparence, mais par ses conséquences si laid au fond, Nietzsche est du côté des Montaigne, des Hobbes, des la Rochefoucauld, des de Maistre, des clairvoyants enfin. Nullement brutal, l’homme au contraire le plus délicat, dirai-je, le plus féminin qui fût par la sensibilité, il n’éprouve aucun besoin d’innocenter la nature, de prêter la franchise au renard et la mansuétude au loup. Il sait que l’homme a commencé par être un loup et un renard, qu’il l’est encore et que ce n’est pas à déplorer absolument, car un agneau n’est propre qu’à être mangé, et la douceur, l’honnêteté de l’agneau n’ont rien d’admirable, étant, chez cet animal, stupides et justement « naturelles ». Rien n’a commencé que par l’énergie. Et l’énergie, jusqu’à ce qu’elle ait appris de ses propres échecs la nécessité de la discipline et de la modération, ne connaît d’autre loi qu’elle-même. Elle est donc cynique, impitoyable, impudique. Elle est le mal. Sot qui professe : le mal n’est qu’un accident. Il est, au contraire, l’origine, le noyau de tout ce qui existe, de tout ce qui a grandi sous le ciel. Il est enveloppé dans le bien. Il y a, à la racine de la vie, une impulsion initiale qui la pousse uniquement à se faire place, à prévaloir. La vie est, en son principe, « Volonté de puissance ».