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LA MORALE DE NIETZSCHE

organisé pour vivre hors de l’État ne serait pas un homme, se contente-t-il de dire. « C’est une brute ou un dieu. » Aux yeux des Grecs, rien, d’ailleurs, de ce qui est indispensable à l’homme pour ne pas demeurer dans la sauvagerie et pour atteindre à l’état de civilisé ne lui a été octroyé spontanément par les dieux. Il est l’ouvrier de sa maison. La formation et le maintien de la société politique, bien que commandés par la nature elle-même, sont une œuvre d’art et de raisonnement. Pareillement, les maximes d’une vie juste ne sont pas dictées par l’inspiration ; mais elles expriment une conciliation entre mille nécessités et convenances ennemies. Rien n’est mauvais en soi, sinon le désordre. Tout ce qui est ordonné, hiérarchisé, est bon. Tout ce qui est aisé et libre est beau. Morale, on le voit, tout orientée vers la liberté et la puissance, mais par le moyen de la discipline.

Le signe le plus profond de bonne naissance de l’esprit, d’après Nietzsche, se trouve là : dans ce consentement sous-entendu aux données de la nature et du destin. Beaucoup s’en sont vantés, qui n’en avaient que la vanité ou le désir malheureux. L’indifférence que les Stoïciens prétendent montrer à la douleur est quelque chose de tendu, de travaillé, de jactancieux, de haineux, au fond. La résignation humble, bénisseuse, pieuse, d’Épictète est d’un goût pire encore. Il faut à cette