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LA MORALE DE NIETZSCHE

parmi ces jeunes gens des écoles et des sectes d’Athènes déclinante ou de Paris moderne, dont l’orgueil, la fureur raisonnante ont desséché l’âme, flétri la grâce, faussé le sens ? La pensée n’est pas plus que le corps la fin de l’homme. La fin, c’est l’harmonie des deux. Mais quand l’équilibre de l’organisation humaine est rompu en sa faveur, quand elle ne se sent plus modérée par aucune convenance, la pensée élève une sorte de prétention infinie. Elle veut que tout se règle par elle. Elle s’érige en arbitre et inspiratrice unique de la vie. Elle la désorganisera : car elle n’est pas la cause, mais un fruit de la vie. C’est probablement le signe le plus sûr des décadences que ce doute, ce scrupule infini et maladif dont les habitudes, les estimations et les institutions les plus nécessaires doivent devenir l’objet, dès que la spéculation s’acharne à leur demander leurs titres absolus. C’est l’anxiété universelle substituée à l’aisance et à la simplicité des époques fortes. Tout est remis en question par ces « intellectuels » qui ont perdu ou qui n’ont pas eu d’où tirer le sens des mœurs ; tout ce qui existe autour d’eux d’abord, mais aussi eux-mêmes, leur caractère, leurs traditions, leur être propres. Ils se détruisent plus misérablement encore qu’ils ne détruisent.

Contre cette humiliation, quelle ressource ? Diviniser le principe pensant. Ainsi les ravages