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occasion, il me fit voir trois gros vaisseaux que des corsaires appartenans à son père avaient pris aux patriotes, quoiqu’il n’y eût que cinq mois que la guerre fût commencée. Parmi ces trois prises, il y avait un vaisseau de Nantes, qui n’avait pas été quinze jours en mer, et qui n’était à Liverpool que depuis deux ou trois. J’eus la curiosité de voir les gens de l’équipage, et je le priai de vouloir bien me conduire à la prison, espérant qu’ils pourraient m’instruire de quelques particularités touchant mon malheureux pays, et peut-être aussi les parens que j’y avais laissés.

Quand je me trouvai au milieu des sans-culottes[1], j’avoue que ma contenance fut un peu embarrassée : pourtant je m’aventurai à les questionner ; ils firent les réponses qu’ils voulurent, et je pus m’apercevoir qu’après les premiers mots, ils connurent tout de suite à qui ils avaient à faire ; ils me peignirent les choses encore plus mauvaises qu’elles ne l’étaient. Officiers, soldats, matelots, mousses, suivant les lois de l’égalité, qu’ils réclamaient alors, étaient tous renfermés et recevaient six pences[2] par jour, pour leur subsistance.

Je partis dans la même voiture qui m’avait apporté à Liverpool, et dirigeai ma course vers

  1. Les républicains français s’honoraient alors, (en 1793) de ce sobriquet.
  2. Douze sous tournois.