Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/180

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par les rites, celui-là seulement peut dire qu’il a de la piété filiale. »

— Tout cela, dis-je alors, n’est point écrit dans la religion chrétienne.

— Quel dommage ! Depuis tant d’années ta famille jouissait d’une réputation sans tache, qui est arrivée jusqu’à toi : la voilà entièrement ruinée ! Toi-même n’avais-tu pas la réputation d’un lettré plein de talents ? Mais ton esprit frondeur et léger t’a poussé à abandonner le culte de tes ancêtres. Toutefois tout n’est pas encore absolument perdu. De grands hommes, dans le passé, sont revenus de leurs erreurs. Si donc tu le veux, dès maintenant songe à marcher sur leurs glorieuses traces.

— S’il y avait possibilité pour moi de changer, je ne serais point venu jusqu’ici.

— Il n’y a donc rien pour te faire changer de sentiments ?

Pour moi, je ne veux ni décider de ton sort, ni t’interroger davantage. Arrivé devant le tribunal criminel, tu auras à rendre compte de ta conduite. Ce corps que tu as reçu de tes parents, tu veux donc follement lui faire subir des supplices et la mort !

— Pratiquer la vertu au prix des supplices et de la mort, est-ce donc la manquer de piété filiale ? Vous aviez arrêté mon oncle, comme caution pour moi ; dès que j’ai appris son arrestation, ne suis-je point venu me livrer de moi-même entre vos mains ? Encore une fois, est-ce là manquer à la piété filiale ? »

Pour toute réponse, le mandarin fit mettre à la cangue le courageux confesseur. La cangue est une espèce d’échelle longue de sept à huit pieds, au travers de laquelle on fait passer la tête du criminel, et qui repose ainsi sur ses deux épaules. Quelquefois elle a la forme d’une table ronde ou à peu près ; on y pratique des trous pour y serrer le cou et les mains, ainsi condamnés à une immobilité très fatigante. Jour et nuit, le pauvre patient porte, sur ses épaules meurtries par le frottement continu, cet horrible instrument de torture qui l’incommode et le prive de repos dans toutes les positions de son corps.

Deux jours après, Paul était réuni à son cousin Jacques Kouen, dans la même prison. En vain le mandarin s’efforça de