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modèle du gouvernement central. Ils ont ainsi beaucoup d’autorité, et souvent plus que le mandarin, qui d’habitude, tout en les traitant comme des valets, se laisse mener par eux. Les autres prétoriens sont des commis, huissiers ou domestiques soumis aux premiers. Tous ces prétoriens forment dans la société comme une classe à part. Ils se marient presque toujours entre eux, leurs enfants suivent la même carrière, et, de génération en génération, ils remplissent dans le tribunal des charges plus ou moins élevées, selon leur adresse à les obtenir et à s’y maintenir.

On prétend, et ce semble avec raison, vu les circonstances, que sans eux il n’y a pas d’administration possible. Rompus à toute espèce de ruses, d’intrigues et de stratagèmes, ils s’entendent admirablement à pressurer le peuple et à se protéger eux-mêmes contre les mandarins. On les casse, on les chasse, on les injurie, on les roue de coups de rotin ; ils savent tout supporter et restent aux aguets pour saisir l’occasion de rentrer en place, et quelquefois même de se débarrasser des mandarins trop sévères.

Bien qu’ils soient divisés en divers partis, cherchant mutuellement à se supplanter, à peu près comme les grands partis politiques des No-ron, Nam-in, etc., dont il a été question plus haut, ils savent oublier momentanément leurs querelles et se soutenir tous quand les intérêts du corps sont menacés. Un de leurs axiomes fondamentaux est qu’il faut toujours tromper le mandarin, et le mettre le moins possible au courant des affaires locales. C’est pour eux une question de vie ou de mort, car la plupart n’ont pas de paye régulière, et ceux qui en ont une ne la peuvent toucher que très rarement. Forcés d’une part de satisfaire, aux dépens du peuple, l’avidité insatiable des mandarins, et d’autre part obligés de dépenser beaucoup pour leur entretien et celui de leurs familles, ils ne vivent que des fraudes et des exactions qu’ils commettent pour leur propre compte. S’ils laissaient connaître au mandarin les ressources secrètes qu’ils savent ainsi exploiter, celui-ci s’en emparerait immédiatement, et il ne leur resterait qu’à mourir de faim.