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Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/114

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vient au bout de quatre heures à son point de départ. Ainsi de suite, pendant toute la nuit. Ses lueurs, blanches comme la lumière électrique, effacent les becs de gaz qui longent les deux rives, et, entre lesquels, elle s’avance comme une reine, solitaire, impénétrable, avec un sourire inextinguible, sans que son huile se répande avec amertume. Au commencement, les bateaux lui faisaient la chasse ; mais, elle déjouait ces vains efforts, échappait à toutes les poursuites, en plongeant, comme une coquette, et reparaissait, plus loin, à une grande distance. Maintenant, les marins superstitieux, lorsqu’ils la voient, rament vers une direction opposée, et retiennent leurs chansons. Quand vous passez sur un pont, pendant la nuit, faites bien attention ; vous êtes sûr de voir briller la lampe, ici ou là ; mais, on dit qu’elle ne se montre pas à tout le monde. Quand il passe sur les ponts un être humain qui a quelque chose sur la conscience, elle éteint subitement ses reflets, et le passant, épouvanté, fouille en vain, d’un regard désespéré, la surface et le limon du fleuve. Il sait ce que cela signifie. Il voudrait croire qu’il a vu la céleste lueur ; mais, il se dit que la lumière venait du devant des bateaux ou de la réflexion des becs de gaz ; et il a raison… Il sait que, cette disparition, c’est lui qui en est la cause ; et, plongé dans de tristes réflexions, il hâte le pas pour gagner sa demeure. Alors, la lampe au bec d’argent reparaît à