Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/124

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majesté. C’est une erreur. Il ne tire plus des coups de canon, il ne sombre pas. La coquille de noix s’est engouffrée complètement. Ô ciel ! comment peut-on vivre, après avoir éprouvé tant de voluptés ! Il venait de m’être donné d’être témoin des agonies de mort de plusieurs de mes semblables. Minute par minute, je suivais les péripéties de leurs angoisses. Tantôt, le beuglement de quelque vieille, devenue folle de peur, faisait prime sur le marché. Tantôt, le seul glapissement d’un enfant en mamelles empêchait d’entendre le commandement des manœuvres. Le vaisseau était trop loin pour percevoir distinctement les gémissements que m’apportait la rafale ; mais, je le rapprochais par la volonté, et l’illusion d’optique était complète. Chaque quart d’heure, quand un coup de vent, plus fort que les autres, rendant ses accents lugubres à travers le cri des pétrels effarés, disloquait le navire dans un craquement longitudinal, et augmentait les plaintes de ceux qui allaient être offerts en holocauste à la mort, je m’enfonçais dans la joue la pointe aiguë d’un fer, et je pensais secrètement : « Ils souffrent davantage ! » J’avais, au moins, ainsi, un terme de comparaison. Du rivage, je les apostrophais, en leur lançant des imprécations et des menaces. Il me semblait qu’ils devaient m’entendre ! Il me semblait que ma haine et mes paroles, franchissant la distance, anéantissaient les lois physiques du son, et parvenaient, distinctes, à leurs