Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/149

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griffes vertes ; mais, je ne dérangerai pas la situation naturelle de ma bouche pour les faire fuir. Regarde, si je mens. Puisqu’il paraît que c’est la volonté de la Providence, je veux m’y conformer. Sa volonté aurait pu être meilleure. » Et moi, je m’écriai : « J’admire cette vengeance noble. » Je voulus m’arracher les cheveux ; mais, il me le défendit avec un regard sévère, et je lui obéis avec respect. Il se faisait tard, et l’aigle regagnait son nid, creusé dans les anfractuosités de la roche. Il me dit : « Je vais te prêter mon manteau, pour te garantir du froid ; je n’en ai pas besoin. » Je lui répliquai : « Malheur à toi, si tu fais ce que tu dis. Je ne veux pas qu’un autre souffre à ma place, et surtout toi. » Il ne répondit pas, parce que j’avais raison ; mais, moi, je me mis à le consoler, à cause de l’accent trop impétueux de mes paroles… Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s’ils fuyaient l’œil humain… Je relevai la tête, comme la proue d’un vaisseau soulevée par une vague énorme, et je lui dis : « Est-ce que tu pleures ? Je te le demande, roi des neiges et des brouillards. Je ne vois pas des larmes sur ton visage, beau comme la fleur du cactus, et tes paupières sont sèches, comme le lit du torrent ; mais, je distingue, au fond de tes yeux, une cuve, pleine de sang, où bout ton innocence, mordue au cou par un scorpion de la grande espèce. Un vent violent s’abat sur le feu qui réchauffe la chaudière, et en répand les flammes obs-