Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/217

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témoigne : oubliez-la, et soyez conséquents avec vous-mêmes… Là, plus de contrainte. Quand je voulais tuer, je tuais ; cela, même, m’arrivait souvent, et personne ne m’en empêchait. Les lois humaines me poursuivaient encore de leur vengeance, quoique je n’attaquasse pas la race que j’avais abandonnée si tranquillement ; mais ma conscience ne me faisait aucun reproche. Pendant la journée, je me battais avec mes nouveaux semblables, et le sol était parsemé de nombreuses couches de sang caillé. J’étais le plus fort, et je remportais toutes les victoires. Des blessures cuisantes couvraient mon corps ; je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir. Les animaux terrestres s’éloignaient de moi, et je restais seul dans ma resplendissante grandeur. Quel ne fut pas mon étonnement, quand, après avoir traversé un fleuve à la nage, pour m’éloigner des contrées que ma rage avait dépeuplées, et gagner d’autres campagnes pour y planter mes coutumes de meurtre et de carnage, j’essayai de marcher sur cette rive fleurie. Mes pieds étaient paralysés ; aucun mouvement ne venait trahir la vérité de cette immobilité forcée. Au milieu d’efforts surnaturels, pour continuer mon chemin, ce fut alors que je me réveillai, et que je sentis que je redevenais homme. La Providence me faisait ainsi comprendre, d’une manière qui n’est pas inexplicable, qu’elle ne voulait pas que, même en rêve, mes projets sublimes s’accomplissent. Revenir à ma forme