Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/226

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leurs vœux : deux jumeaux, mon frère et moi, parurent à la lumière. Raison de plus pour s’aimer. Il n’en fut pas ainsi que je parle. Parce que j’étais le plus beau des deux, et le plus intelligent, mon frère me prit en haine, et ne se donna pas la peine de cacher ses sentiments : c’est pourquoi, mon père et ma mère firent rejaillir sur moi la plus grande partie de leur amour, tandis que, par mon amitié sincère et constante, j’efforçai d’apaiser une âme, qui n’avait pas le droit de se révolter, contre celui qui avait été tiré de la même chair. Alors, mon frère ne connut plus de bornes à sa fureur, et me perdit, dans le cœur de nos parents communs, par les calomnies les plus invraisemblables. J’ai vécu, pendant quinze ans, dans un cachot, avec des larves et de l’eau fangeuse pour toute nourriture. Je ne te raconterai pas en détail les tourments inouïs que j’ai éprouvés, dans cette longue séquestration injuste. Quelquefois, dans un moment de la journée, un des trois bourreaux, à tour de rôle, entrait brusquement, chargé de pinces, de tenailles et de divers instruments de supplice. Les cris que m’arrachaient les tortures les laissaient inébranlables ; la perte abondante de mon sang les faisait sourire. Ô mon frère, je t’ai pardonné, toi la cause première de tous mes maux ! Se peut-il qu’une rage aveugle ne puisse enfin dessiller ses propres yeux ! J’ai fait beaucoup de réflexions, dans ma prison éternelle. Quelle devint ma haine