Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/274

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Il y avait longtemps que l’araignée avait ouvert son ventre, d’où s’étaient élancés deux adolescents, à la robe bleue, chacun un glaive flamboyant à la main, et qui avaient pris place aux côtés du lit, comme pour garder désormais le sanctuaire du sommeil. « Celui-ci, qui n’a pas encore cessé de te regarder, car il t’aima beaucoup, fut le premier de nous deux auquel tu donnas ton amour. Mais tu le fis souvent souffrir par les brusqueries de ton caractère. Lui, il ne cessait d’employer ses efforts à n’engendrer de ta part aucun sujet de plainte contre lui : un ange n’aurait pas réussi. Tu lui demandas, un jour, s’il voulait aller se baigner avec toi, sur le rivage de la mer. Tous les deux, comme deux cygnes, vous vous élançâtes en même temps d’une roche à pic. Plongeurs éminents, vous glissâtes dans la masse aqueuse, les bras étendus entre la tête, et se réunissant aux mains. Pendant quelques minutes, vous nageâtes entre deux courants. Vous reparûtes à une grande distance, vos cheveux entremêlés entre eux, et ruisselants du liquide salé. Mais quel mystère s’était donc passé sous l’eau, pour qu’une longue trace de sang s’aperçût à travers les vagues ? Revenus à la surface, toi, tu continuais de nager, et tu faisais semblant de ne pas remarquer la faiblesse croissante de ton compagnon. Il perdait rapidement ses forces, et tu n’en poussais pas moins tes larges brassées vers l’horizon brumeux, qui s’estompait