Page:Lautreamont - Chants de Maldoror.djvu/55

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que, toi aussi, tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre pattes nageoires de l’ours marin de l’océan Boréal, n’avons pu trouver le problème de la vie. Prends garde, la nuit s’approche, et tu es là depuis le matin. Que dira ta famille, avec ta petite sœur, de te voir si tard arriver ? Lave tes mains, reprends ta route, qui va où tu dors… Quel est cet être, là-bas, à l’horizon, et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ; et quelle majesté, mêlée d’une douceur sereine ! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise, et paraissent vivre. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble ; et c’est la première fois, depuis que j’ai sucé les sèches mamelles de ce qu’on appelle une mère. Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui. Quand il a parlé, tout s’est tu dans la nature, et a éprouvé un grand frisson. Puisqu’il te plaît de venir à moi, comme attiré par un aimant, je ne m’y opposerai pas. Qu’il est beau ! Ça me fait de la peine de te le dire. Tu dois être puissant ; car, tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide. Je t’abhorre autant que je le peux ; et je préfère voir un serpent, entrelacé autour de mon cou depuis le commencement des siècles, que non pas tes yeux… Comment !… c’est toi, crapaud !… gros crapaud !… infortuné crapaud !… Pardonne !… par-