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Page:Lauzun - Itinéraire raisonné de Marguerite de Valois en Gascogne d'après ses livres de comptes (1578-1586), 1902.pdf/26

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Henri de son côté, à peine arrivé en Guienne, envoya Jean de Durfort, vicomte de Duras, à la Cour, avec mission de lui ramener sa femme (20 septembre 1576). Le Roi refusa brutalement et congédia l’ambassadeur. Il voulait garder sa sœur comme otage entre catholiques et réformés. Marguerite ne se découragea pas : « Je représentay au Roy, écrit-elle, que je ne m’estois pas mariée pour plaisir ny de ma volonté ; que ç’avoit esté de la volonté et auctorité du roy Charles mon frère, de la royne ma mère, et de luy ; que puisque ils me l’avoient donné, qu’ils ne ne pouvoient point empêcher de courre sa fortune ; que j’y voulois aller ; que s’ils ne me le permettoient, que je me desroberois et y irois de quelque façon que ce fut, au hazard de ma vie. » Mais Henri III demeura inflexible et la repoussa, lui disant « que depuis que le roy de Navarre s’etoit refaict huguenot, il n’avoit jamais trouvé bon que, catholique, sa sœur alloit le rejoindre[1].  »

Aussi ne voulant et ne pouvant plus rester dans une Cour qui venait de déclarer la guerre au roi son mari, Marguerite prit le prétexte de sa mauvaise santé pour aller aux eaux de Spa. Au fond, elle voulait recruter des partisans à son frère bien-aimé d’Alençon, qui avait pris le titre de duc d’Anjou depuis l’avènement au trône d’Henri III et qui convoitait ardemment la couronne ducale des Flandres.

Il faut lire dans les Mémoires de Marguerite les deux jolis chapitres, dignes pendants des lettres qu’elle écrira plus tard de Bagnères, consacrés à ce voyage mouvementé. Il faut voir comment, partie avec l’insouciance de ses jeunes années, elle courut au retour les plus grands dangers, guettée par don Juan d’Autriche à la tête des bandes espagnoles, suivie de près par les protestants et parvenant à grand peine à gagner La Fère, où l’attendait son frère d’Alençon. « Nous passâmes près de deux mois, qui ne nous furent que deux petits jours, en cet heureux estat… La tranquillité de nostre Cour, au prix de l’agitation de l’aultre d’où il partoit, luy rendoit tous les plaisirs qu’il y recepvoit si doux qu’à toute heure il ne se pouvoit empescher de me dire : « Ô ma royne ! qu’il fait bon avec vous ! Mon Dieu, ceste compagnie est un paradis comblé de toutes sortes de délices, et celle d’où je suis party un enfer remply de toutes sortes de furies et tourmens[2]. » Ce que Marguerite ne dit pas, c’est qu’à la Fère elle vit pour la première fois, à côté du duc d’Anjou dont il était un

  1. Mémoires de Marguerite, édit. Charpentier, p. 119.
  2. Idem, pp. 175-176.