Page:Laveaux - Nouveau dictionnaire, 1820, T1, A-C.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈≈


Un Dictionnaire de langue vivante doit offrir, 1o. le recueil complet des mots dont l’usage est généralement établi chez la nation qui la parle ; 2o. la signification qu’on attache à ces mots, soit dans le discours soit dans les écrits ; 3o. les variations et les modifications qu’éprouve cette signification, ou par l’analogie qui la développe et la multiplie, ou par les métaphores et les figures qui la transportent à des objets nouveaux, ou par des circonstances qui lui prêtent des nuances qu’il est souvent plus aisé de sentir que d’exprimer.

À cette tâche s’en joint une autre non moins importante : celle d’indiquer l’usage que l’on fait de ces mots, considérés sous chacun de ces rapports ; d’en régler le choix ; de faire connaître les changemens qu’ils subissent dans leurs divers accidens ; de marquer les places qu’on leur assigne dans la contexture des phrases, selon les vues de l’énonciation et les besoins variés de l’expression ; enfin, de faire sentir les effets qui résultent de leurs rapprochemens, de leurs combinaisons avec d’autres mots, et les nuances qu’ils peuvent leur prêter ou en recevoir.

Si telles sont les principales qualités qu’on a droit d’exiger dans un bon Dictionnaire de langue, on conviendra aisément qu’un ouvrage de cette nature, si peu apprécié dans l’opinion commune, est un des plus difficiles et en même temps des plus utiles que puisse produire la littérature ; on sentira même qu’il est impossible, soit à un seul homme, soit à une société de littérateurs, quelque nombreuse et quelque éclairée qu’elle puisse être, d’atteindre complètement le but.

Il n’est donc pas étonnant que nous n’ayons pas encore un bon Dictionnaire de notre langue, sur-tout si l’on considère de quelle manière elle s’est formée, et la fausse route que l’on a prise pour recueillir les mots, les tours et les expressions dont elle s’est enrichie successivement.

Le Dictionnaire d’une langue doit se former, s’étendre, se perfectionner, à mesure que se forme, s’étend et se perfectionne la langue qu’il a pour objet. Le lexicographe ne doit ni proposer, ni inventer des mots et des acceptions nouvelles. Secrétaire de l’usage, il doit s’attacher à le bien connaître, à le suivre dans sa marche et ses variations, à en retracer tous les mouvemens. S’il se borne au langage de la conversation, et néglige celui des bons écrivains, il sera nécessairement sec et incomplet ; s’il admet de préférence le langage de la frivolité, et repousse celui de la raison sérieuse et de l’industrie utile, on n’y reconnaîtra point la langue de la nation, mais seulement le langage de quelques classes particulières. Il faut qu’il recueille dans toutes les classes, dans tous les arts, dans toutes les industries, tout ce qui est approuvé par la raison, par le goût, par l’utilité, tout ce qui rentre dans les règles générales du langage.

À l’époque où l’Académie française composa son Dictionnaire, il lui eût été difficile de former un plan conforme à la nature de cet ouvrage. Les prétentions de la cour, qui se croyait exclusivement en possession du beau langage ; la frivolité qui remplissait ses loisirs et réglait ses goûts ; l’engouement des autres classes qui n’admiraient et n’estimaient que ce qui venait de la cour ; le mépris des arts utiles et de ceux qui les exerçaient ; l’incertitude et les égaremens du goût qui préférait souvent les ouvrages les plus ridicules aux chefs-d’œuvre qui devaient faire l’admiration des siècles suivans, et sur-tout l’ignorance orgueilleuse qui regardait les sciences comme inutiles et au-dessous de l’attention des gens du bel air, tout semblait commander à l’Académie un Dictionnaire rempli des frivolités