Page:Lavedan - Il est l’heure, AC, vol. 47.djvu/2

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous entrâmes au Café Américain. On devait se rafraîchir avant d’affronter les fatigues d’une pareille nuit blanche. Ils prirent des bocks, moi je préférai une fine Champagne. Jacques ne nous permis même pas de nous asseoir ; nous restâmes donc debout devant nos tables, tirant nos montres, fébriles, buvant sans soif aucune. Puis, le verre à peine posé, la monnaie tintant sur le marbre, nous sautions tous quatre dans un coupé de cercle, lançant au cocher — assez haut pour nous faire entendre de quelques personnes arrêtées sur le trottoir — ces simples mots : « À la Roquette. »

Une gaîté folle nous animait. Le cheval était vite, et notre voiture dépassait toutes les autres, filant comme un traîneau. Nous fumions d’excellentes cigarettes à la main, parlant tous à la fois : « As-tu déjà vu des exécutions, toi ? — Non. — Et toi ? — Non plus. »

Je déclarai : « Voulez-vous que je vous parle franchement ? Je crois que cela ne me fera aucun effet. »

— « Oui, on dit toujours ça avant. »

Un de mes camarades, le plus jeune, demande d’une voix mal assurée :

— « On n’est pas forcé de se tenir au bord… au premier rang ? Mais Jacques aussitôt l’interrompait, et gravement : « Entendons-nous ! Dès que nous allons arriver, vous me suivez tous deux ; j’ai des cartes de la préfecture pour vous ; toi, tu me tiens par un pan, et je te fais passer comme journaliste. Aujourd’hui les journalistes passent partout. Ça va, n’est-ce pas ? fit-il en m’envoyant à la volée une forte claque sur la cuisse, comme pour me donner du courage. Je répondis d’une voix ferme : « Ça va ! « et je me penchai par la portière.

Nous approchions ; nous étions même déjà dans le quartier. Les maisons ne nous regardaient plus, avec leur bonne figure comme celles des boulevards et du centre de Paris. Inhospitalières, elles dormaient ou faisaient semblant. Et je ne sais quoi de mystérieux, émanait de leurs petites persiennes prudentes, de leurs façades blanches sous la lune, des trottoirs uniformes et longs déroulés devant leurs portes sournoises. Vaguement, nous distinguions dans l’ombre des groupes silencieux, marchant à pas rapides. — « Ils y vont, nous dit Jacques, haussant les épaules… des idiots ! ils ne verront rien. »

Nous les dépassions, et au bout d’une montée pendant laquelle le cheval avait un peu ralenti son allure, le coupé s’arrêtait. — « On ne va pas plus loin, » nous cria le cocher.

Nous descendîmes, étonnés d’être si tôt rendus. Sur le trottoir, à droite et à gauche, des groupes sombres, et barrant la chaussée, un cordon de gardes de Paris, l’arme au pied. Jacques à l’instant nous agrippait et nous poussait : « Ces messieurs sont avec moi… service de la préfecture… monsieur