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HENRI LAVEDAN

IL EST L’HEURE



À M. Gustave Guiches.


Ce soir d’avril, vers minuit, comme je rentrais chez moi, un peu las, les yeux déjà impatients de sommeil, je croisai trois de mes amis, place de l’Opéra. Craignant d’être entraîné par eux dans quelque restaurant de nuit, je me détournais pour les éviter, mais ils m’avaient aperçu. Ils m’entourèrent, et me prenant par le bras, parlant sec et vite : « Arrive, ouste !… nous allons voir guillotiner Campi… »

Campi ? C’était donc pour cette nuit ?… Voir guillotiner… oh ! cette tentation ! je demeurai saisi, ne trouvant rien à répondre, gonflé d’une joie sourde et délicieuse, prêt à courir, mais résolu néanmoins à me faire un peu prier, et tirer l’oreille. Et mollement, avec une bouche dégoûtée, je me défendis tout bas : « Vous m’écœurez… jamais de ma vie… vous irez seuls… « En même temps que je feignais de résister, déjà je sentais sourdre au fond de moi cette curiosité souple et vile — manifestation de la bête que nous sommes — qui nous pousse et nous fait galoper aux spectacles de sang. Aussi, sur l’insistance de mes amis affirmant « qu’il fallait voir ça » au moins une fois, devant cette occasion qui s’offrait soudaine, brutale, j’allais dire providentielle ! — j’acceptai.

Chaleureusement, tous me félicitèrent.

— « À la bonne heure !

— « On dit que c’est assez curieux.

— « Tu ne le regretteras pas.

Nous partîmes.

Sur le conseil très sage de Jacques de B… notre aîné à tous, qui semblait rompu aux émotions de ces sortes de parties,