Page:Lavedan - Il est l’heure, AC, vol. 47.djvu/4

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de la boîte… on croit qu’il parlera. Au revoir ! » Et il disparut.

Je m’assis sur un banc, pris de faiblesse passagère, les tempes et le dos moites ; j’avais presque envie de pleurer. Obstinément je pensais à cet homme que je ne connaissais pas, dont tout, à l’heure on allait couper la tête, devant tous ces invités. Était-ce possible l Mais c’était un crime ! Effaré je regardais, j’écoutais ; et les arbres, les murs, la porte de fer, la populace, tout me rappelait : « Il va mourir, il mourra, c’est la mort, la peine de mort. »

Alors chassant ma stupide compassion, tourmenté de justice, je me dis que « ça n’était vraiment pas volé. »

— « Ah ! il a tué, le scélérat I Tout de suite qu’on l’amène, et terminons vite cette affaire ! »

Puis, comme personne autour de moi ne semblait tenir compte de mes réclamations, une excessive irritabilité m’envahit, éclata en reproches : « Décidément est-ce pour aujourd’hui ! Rien n’est prêt. Qu’est-ce qu’ils font ? Sacrés lambins ! »

Et sans transition, une phrase d’indifférence et de détachement triste : « Après tout, maintenant, dans trois heures, ou dans huit jours, ça m’est égal. Seulement, en ce cas-là, on ne fait pas venir le monde à minuit et demie ! »

Je vaguai sur la place, levant les yeux au ciel par désœuvrement. Comme il y avait des étoiles cette nuit ! Elles étaient toutes là, au grand complet. Ici-bas les ténèbres. Devant le portail de la prison allait et venait le factionnaire en caban, et l’ombre effilée de sa baïonnette passait sur la muraille.

A quelques pas, des officiers de paix, reconnaissables aux phosphorescences de leurs broderies et au cliquetis du sabre qui leur soufflettait les molets, se contaient une amusante histoire ; tout près de moi un grand garçon assis par terre, qui venait de retirer sa bottine, chipotait ses orteils. Quelque part, à une horloge, une heure sonna, les dernières vibrations s’éteignirent et la nuit morne continua de cheminer, en silence.

Je songeais. — « Pourquoi suis-je ici ? j’ai honte. » Et j’avais beau faire, malgré moi je revenais à cet être qui dormait en ce moment, dans un lit qui n’était pas le sien, et qu’on allait indubitablement tuer, sur cette place, un peu avant le lever du soleil. Je me disais que toutes les choses avaient été bien convenues, réglées en dehors de lui. sans le consulter, et que l’heure exacte de sa mort était déjà marquée au petit réveille-matin du bourreau, posé dans une assiette creuse.

Tout à coup, à une des extrémités de la place, une lumière scintilla, puis une autre, en même temps que se dispersaient les groupes, tout le monde se portant de quelques pas dans la même direction. Je sentis qu’on me touchait l’épaule ;