Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/188

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saisie-arrêt. La femme de ménage, à qui cette menace fut faite, se hâta d’en prévenir Coste, puis d’aller colporter la nouvelle dans le village.

L’instituteur se rendit aussitôt chez le boucher pour le prier de patienter. Il fut éloquent, parla du tort immense que lui ferait pareille mesure. Bref, le boucher, un gros homme sanguin, pas mauvais au fond, mais de caractère faible et changeant, parut s’attendrir et promit tout le crédit et tout le temps nécessaire. Mais comme il était du parti du maire actuel, il n’eut rien de plus pressé que de raconter, le soir, au café conservateur, la visite et les supplications de Coste. Ses amis donnèrent libre cours à leur haine :

— Tu as tort ; à ta place, nous foutrions l’huissier à ses trousses. D’ailleurs, c’est un bon moyen de nous débarrasser enfin de ce triste personnage.

Ainsi conseillé durant toute la soirée, le boucher oublia sa promesse du matin et, les jours suivants, exécuta sa menace.

Coste fut frappé de stupeur d’abord, puis avec une résignation d’oriental, courbant la tête sous des forces mauvaises et inconnues, il soupira mélancoliquement :

— Ma foi, ça devait arriver tôt ou tard.

Mais, à la fin du mois, quand il entra chez le percepteur et que celui-ci lui retint 20 0/0 sur son traitement, le rouge de la honte lui monta au visage. Il sortit comme un homme ivre, emportant les misérables 63 fr. 33 qu’il toucherait désormais. Des larmes roulaient sur ses joues creuses, des cris d’angoisse et de révolte s’échappaient de sa gorge. Assis sur le talus de la route qui conduit à Maleval et que chauffait le clair soleil d’un beau jour d’hiver, il songeait quasi hébété à la destinée amère. Soixante-trois francs ! c’est avec ça qu’il faudrait vivre pendant trente longs jours, payer une femme de ménage, entretenir les bébés, soigner sa pauvre Louise !

Il se leva enfin. Tout le long de la route, il marcha tantôt