Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/63

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est vrai, pour vous… Mais songez que nous ne récoltons ni blé, ni huile, ni vin, comme vous, que nous autres, nous achetons tout, excepté l’eau… et puis j’ai eu tant de contretemps… Comme vous l’avez fait jadis pour moi, j’ai dû m’endetter pour que mes enfants et ma femme malade ne souffrent pas, pour venir à Maleval…

Caussette sursauta et ouvrit la bouche pour l’interrompre.

— Ne protestez pas, — s’écria Jean d’une voix ferme, en voyant combien peu ses paroles attendrissaient sa mère. — Je sais ce que vous allez me dire… Je devais demeurer là-bas, à Peyras ?… Mais ce qui est fait est fait et l’instituteur est obligé d’aller où ses chefs l’envoient… on ne consulte pas ses goûts… En tout cas, ce n’est ni le café, ni la mauvaise conduite qui ont été la cause de mes dettes… D’ailleurs, tout peut s’arranger… Que je paie mon retard et on pourra vivre tranquilles.

— Eh bien ! alors quoi ? — repartit la vieille, méfiante et un peu goguenarde.

— Eh bien ! je compte sur vous, mère ; vous avez quelque argent et…

— Tout ça, c’est des menteries, — cria l’aveugle en éclatant ; — tout ça, c’est pour m’escroquer mes sous… C’est pas vrai que tu as des dettes… non, non !

Et, mauvaise, avec de la haine sur son visage tout ridé :

— C’est encore ta femme qui te pousse, pour avoir de quoi se fignoler et se mettre de beaux affiquets sur les épaules et sur son tant joli museau !… D’ailleurs, c’est pas vrai que j’ai de l’argent… Tout y a passé, entre les mains des huissiers… Tes écoles, tes livres nous ont ruinés ; nous t’avons nourri jusqu’à vingt ans sans rien faire ; jamais tu ne nous as gagné un sou… Vois-tu, si ton père est mort, c’est du chagrin d’avoir trimé, de s’être esquinté pour en arriver à voir nos terres vendues comme à des feignants…

Elle pleurait. Jean aurait voulu mettre fin à cette pénible