Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/65

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disparue depuis des années, ces reproches haineux à l’adresse de Louise, cette avarice égoïste qui transparaissait hideusement sur la face de sa mère, tout cela le blessait au profond de son amour filial.

Mais il a tout à coup une lueur d’espoir. Caussette, comme épouvantée par ce silence que rendent plus sinistre les bruits effrayants du dehors, vient de parler et il semble à Jean qu’une émotion tremble dans la voix de la vieille femme.

— Ah ! si j’avais de l’argent, — concède-t-elle adroitement et comme prise de pitié, — je ne dis pas non… on pourrait voir si ce que tu dis est vrai.

Jean est tombé aux genoux de l’aveugle.

— Mère, — sanglote-t-il, — vous m’avez toujours bien aimé… Croyez-moi et soyez bonne à votre fils malheureux, à votre Jean… Puisque vous n’avez pas d’argent, eh bien !…

— Eh ! quoi ? — dit Caussette, tournant vers lui son masque brun, sillonné de grosses rides, et que trouent ses yeux blancs où un reflet s’allume comme un regard.

À ce moment, un coup de vent secoue la porte et la chandelle s’éteint brusquement. L’obscurité envahit la pièce une bande de clarté rouge sort du fourneau et frappe en plein la figure de la paysanne dont un rictus semble contracter les lèvres. Jean s’est levé pour allumer une autre chandelle ; son regard tombe sur le visage de sa mère et, à le voir si dur, si fermé à toute pitié, presque hideux dans cette lueur rouge, il se détourne, il se sent de nouveau vaincu et un sanglot déchire sa poitrine. A tâtons, il cherche une allumette sur le rebord de la cheminée pleine d’ombre.

— Tu ne dis plus rien ! — s’écrie Caussette qui ne se rend pas compte de l’obscurité qui règne dans la cuisine. — Tu fais semblant de pleurer !… Que remues-tu ?… Pourquoi marches-tu ?… Mais réponds-moi, Jean.

Ces mots sortent d’une gorge serrée. Le silence de son fils remplit Caussette d’épouvante. Elle se rappelle ces enfants