Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étonnement de voir M. l’instituteur si poussiéreux, et venu au marché « avec la voiture de M. Soulier », comme on dit là-bas. Aussi suivait-il les ruelles désertes, jusqu’à l’habitation du percepteur, sise dans un faubourg de la petite ville.

À peine avait-il touché son traitement mensuel qu’il courait chez le pharmacien acheter les médicaments de Louise et écorner l’unique « fafiot bleu » qu’il serrait dans sa main. Il repartait à la hâte, fuyant les abords des cafés et du marché, heureux de s’éloigner avant l’arrivée de la diligence et des paysans de Maleval, de s’enfoncer sous bois, à l’abri des regards, en des sentes pierreuses et rarement fréquentées, si ce n’est par les chèvres, les pâtres et les « bosquetiers ». Il avait de sa misère comme une pudeur maladive, très susceptible, qui lui faisait prendre mille précautions, mettre du mystère dans les actes les plus naturels pourtant, dissimulant tout par crainte d’attirer l’attention, d’être remarqué et critiqué, d’avoir honte enfin.

Puis, à Maleval, c’étaient des calculs infinis pour parvenir à satisfaire les créanciers. Il s’ingéniait à cela, consultait ses carnets, additionnait, soustrayait, noircissant des bouts de papier pour en arriver toujours à cette constatation désespérante, que les ressources dont il disposait ne lui suffiraient pas. Alors il se décidait à payer là une note trop en retard, à donner ici un acompte, après quoi il restait comme auparavant les mains vides et était obligé de se rendetter, de rouvrir les « trous » qu’il venait de combler.

Car, faute d’avances, il se remettait à acheter tout à crédit, payait plus cher, n’osait marchander ni refuser telle marchandise trop coûteuse ou surfaite ou même de qualité douteuse, à la merci de certains boutiquiers, peu scrupuleux, qui profitaient de son dénuement pour l’humilier et l’exploiter. Et tandis que le mois s’écoulait, il passait son temps à rêver des économies impossibles, se reprochant les quelques