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Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/156

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frêle que les deux garçons, nés avant elle, étaient vigoureux, et elle dut rester au château.

Les deux messieurs d’Algueville ne se quittèrent pas, et assistèrent à toutes les péripéties du drame révolutionnaire. Fidèles à leur mandat de députés, ils firent jusqu’au bout partie de cette minorité, toujours vaincue, toujours insultée, qui essayait d’arrêter l’Assemblée constituante sur la pente effroyable où elle s’était engagée. Dès le début, ils avaient perdu toute espérance. En effet, les gens superficiels qui prétendent établir une distinction entre 89 et 93 oublient tout d’abord les dates. Le 5 mai, Sa Majesté très chrétienne, Louis XVI, ouvrait les états généraux au milieu des acclamations et des espérances enthousiastes de la nation tout entière.

Le 23 juin, le tiers état se séparait de la noblesse et du clergé, bravait l’autorité royale, par le fait s’emparait du pouvoir.

Le 14 juillet, la Bastille était prise.

Le 17 juillet on tirait sur le carrosse du roi, venu à Paris, et Louis XVI prenait la cocarde tricolore.

Le 6 octobre, roi, reine, enfants de France, entraînés à Paris dans l’épouvantable appareil que l’on sait, précédés par les têtes sanglantes de leurs plus fidèles serviteurs, commençaient l’ère de la captivité, et savouraient par avance le calice de la mort. Le désordre, la ruine, l’effroi, régnaient partout en France. En quatre mois, le plus beau royaume du monde en était devenu le plus infortuné.

Madame Élisabeth, le 6 octobre, passant devant sa maison de Montreuil, en regarda les ombrages, et dit : « Adieu, Montreuil, adieu pour toujours ! » Elle ne se trompait pas. Quand la majesté royale cesse d’être considérée comme sacrée, quand le roi accepte le symbole de la révolution, il n’est plus que le jouet et la victime du peuple. La cocarde tricolore acceptée, c’était le premier pas vers l’échafaud.

Pendant deux mortelles années, la vicomtesse d’Algueville ne vit pas son mari. Il lui écrivait souvent et tâchait de calmer ses inquiétudes. « Ma qualité de député me rend inviolable, disait-il. Dès que l’assemblée sera dissoute, j’irai vous retrouver. »