Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/160

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aisément à bout, les embrassa tous deux et se retira dans sa chambre.

Il repartit le lendemain, bien armé, muni d’argent, mais vêtu fort simplement, et voyageant tantôt à pied, tantôt par les voitures publiques pour ne pas attirer l’attention. Toutes ses mesures étaient prises pour qu’il pût correspondre avec la vicomtesse sous le couvert d’un de leurs fermiers. Après avoir dit adieu à sa famille et à ses domestiques en pleurs, il s’éloigna, le cœur douloureusement oppressé de ce qu’il délaissait et de ce qu’il prévoyait, et mit près de huit jours à gagner Paris.

Un ancien valet de son père tenait, sur la place du Carrousel, l’hôtel de Nantes. C’est là qu’Alain se logea et reçut souvent les visites de nombre de ces fidèles et derniers serviteurs de la maison de France, qui erraient autour des Tuileries, guettant l’occasion de saluer les augustes captifs et de leur montrer encore quelques visages sympathiques et respectueux. Les révolutionnaires les surnommaient les chevaliers du poignard, probablement parce qu’ils n’en portèrent jamais. Ils devaient presque tous périr assassinés.

Le 20 juin 1792, le roi et le Dauphin furent coiffés du bonnet rouge. Le 10 août, la famille royale, emmenée des Tuileries, fut enfermée au Temple. Un massacre horrible ensanglanta les Tuileries. Le soir vint ; M. d’Algueville n’avait pas reparu à l’hôtel de Nantes. Ses hôtes le cherchèrent parmi les cadavres des Suisses et des autres défenseurs du château. Ils ne le trouvèrent pas. Un portefeuille qui lui appartenait fut ramassé dans le sang. Après de vaines recherches, Gervais l’hôtelier envoya ce funeste gage à Mme d’Algueville.

Sa douleur fut de celles qui n’éclatent point au dehors. On la vit rester plusieurs heures immobile, agenouillée devant un crucifix, les lèvres collées sur le portefeuille sanglant. Ses enfants l’entouraient en pleurant.

L’abbé, à genoux près d’elle, lui disait quelques paroles à voix basse. Elle ne semblait rien entendre. Enfin on la vit se relever. Elle tendit la main à son frère, bénit ses enfants, et, montrant à l’abbé une statue de la Vierge des