Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/39

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– Elle nous sera assurément bien plus agréable que celle des chanteurs mercenaires, dit lady Marjory.

– Allons, ma petite Luce, dit le baron, chantez-nous le lai d’Arthur. »

On apporta à la jeune fille un luth d’ébène, et elle chanta le poème, si populaire alors, de la mort d’Arthur de Bretagne assassiné par Jean sans Terre.

Ce lugubre récit et les malédictions dont le poète accablait l’assassin ne parurent pas agréer à la noble Écossaise. Elle se borna à louer la jolie voix de Luce, sans dire un mot de la musique ni des paroles, et le chapelain, se rappelant que Jean sans Terre avait été l’admirateur déclaré de lady Marjory, regretta que la ballade eût été si malencontreusement choisie.

Un silence embarrassant régna pendant quelques minutes, puis lady Marjory demanda sa harpe et proposa de faire entendre au baron de Brix un chant anglo-saxon.

« J’ai un peu oublié cette langue, dit le vieillard, mais je serai très heureux de vous entendre, Madame. »

La belle lady préluda, puis d’une voix un peu rude, mais sonore et expressive, elle chanta la Jeune Normande :

« Pourquoi pleures-tu, jeune fille, en regardant les flots ? Pourquoi regardes-tu toujours du côté du midi, vers les blanches falaises de la Normandie ? N’as-tu pas ici, dans la belle Angleterre, des châteaux, des jardins, de vertes prairies remplies de troupeaux, de beaux chevaux, des cygnes et des faucons ? Pourquoi pleures-tu en appelant le duc Rollon, qui dort depuis trois siècles dans son tombeau de Rouen ?

« – Je pleure et je regarde au delà des flots, parce que là-bas, en Normandie, est mon berceau. C’est là que j’ai grandi, là que j’étais heureuse. J’appelle le duc Rollon parce que Philippe de France nous a repris injustement la Normandie.

« Que ne suis-je un chevalier ! Je passerais la mer comme le firent jadis les fiers soldats de Rollon. Je reprendrais ces champs qu’ils ont labourés, ces villes, ces châteaux, bâtis par Leurs mains laborieuses et vaillantes, et Philippe-Au-