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Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/59

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Messire. Vous en avez donné des preuves en passant dix fois des rangs de l’armée de France à celle d’Angleterre, servant et trahissant tour à tour Richard et Philippe-Auguste, Louis VIII et Jean sans Terre. Vous étiez au massacre d’Évreux parmi les assassins. Je vous connais, Hugo de Ganneville, homme sans foi, chevalier sans honneur !

– Les injures ne sont pas des raisons, reprit Hugo, la voix tremblante de colère : une fois, deux fois, trois fois, voulez-vous m’ouvrir vos portes et quitter le château ?

– Non, mille fois non, par l’âme du roi Richard ! je n’ouvrirai qu’à un héraut du roi de France, et si tu veux entrer au château de Brix, Hugo, prends-le d’assaut, si tu peux ! En attendant, détale, ou j’ordonne à mes archers de tirer sur toi. »

Ganneville montra le poing au baron et s’éloigna furieux, suivi de toute sa troupe. Les vassaux de Brix, qui le guettaient avec anxiété, saluèrent son départ de leurs moqueries ; mais la vieille Arlette, appuyée sur son bâton, se mit en chemin pour monter au château et dit à ses enfants et voisins : « Ces gens-là vont revenir et s’en prendront à nos chaumières, croyez-moi, réfugions-nous tous au château. »

Arlette était regardée comme une prophétesse, et toute la population du village se hâta de suivre son conseil. Pendant toute la journée on voitura au château des meubles, des provisions, et il fallut plus de vingt-cinq fois baisser le pont-levis pour laisser entrer des charrettes. Alain se multipliait pour veiller à tout. Ces préparatifs, ces alarmes qui glaçaient d’effroi la plupart des habitants du château, semblaient le mettre dans son élément.

« Monseigneur, dit-il au baron, qui, accablé de fatigue, s’était assis dans un grand fauteuil, nous avons oublié une chose très importante. Nos clercs sont seuls au village avec le saint Sacrement. Cette nuit, les gens d’Hugo de Ganneville, qui ne craignent ni Dieu ni diable, sont capables d’aller les piller. Il faudrait aviser à cela.

– Tu as raison, dit le baron, vas-y avec une escorte de six hommes au moins, et deux bons mulets pour rapporter les vases sacrés et les ornements de l’église. Vous la fermerez avec soin. Va. »