Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/107

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vivait encore, personne ne s’aviserait, je pense, de demander à lui être présenté pour lui faire des compliments sur son talent. On regarde le soleil, on le contemple dans sa course, mais on n’a pas la prétention de le féliciter sur sa puissance, de croire qu’on augmentera en quelque chose sa gloire en y ajoutant l’appoint infime de son appréciation personnelle. Voilà pourquoi je m’abstiendrai systématiquement de tout témoignage admiratif, me renfermant, à cet égard, dans le silence contemplatif, qui seul me paraît suffisamment respectueux.


À présent donc, tout le monde admire Wagner, mais de différentes façons et à des degrés divers, résultant de la somme de culture intellectuelle de chacun, comme de ses études antérieures et de son initiation spéciale. Ce sont ces degrés dans l’admiration individuelle, ces nuances, que je voudrais d’abord préciser et faire nettement distinguer.

Il y a d’abord l’admirateur exclusif de Wagner, celui pour lequel il n’existait rien avant, et rien ne peut être créé après. Cette intransigeance, si honorable qu’elle soit, me paraît exagérée, excessive, et je dirai même peu respectueuse à l’égard du Maître de Bayreuth, qui avait ses enthousiasmes passionnés, qu’il ne cachait pas ; il me semble qu’on peut et doit admettre tout au moins ceux pour lesquels lui-même professait une admiration sans bornes : Sophocle, Eschyle, Shakespeare, Gœthe, Bach, Beethoven, Weber… Or, il est assez difficile d’admettre Bach sans accorder quelque attention à certains de ses devanciers, ne fût-ce que Palestrina, Monteverde, Heinrich Schütz, et à son contemporain Haendel ; on ne peut guère séparer Beethoven de Mozart et Haydn, dont il dérive ; il est impossible de reconnaître une valeur à Weber en dédaignant totalement les œuvres de Men-