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L’ANNEAU DU NIBELUNG

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L’OR DU RHIN


Prélude. — Le prélude de l’Or du Rhin consiste uniquement en cette colossale tenue d’un seul accord, l’accord de mi ♭, dont nous avons déjà parlé (p. 282). Cette tenue elle-même est déjà un Leit-motif des plus expressifs et descriptifs, du caractère le plus philosophique. Elle symbolise l’élément primitif, l’eau, à l’état de repos ; l’eau, dont, suivant la donnée mythologique, sortira la vie tout entière, avec ses luttes, ses passions. Pendant cette longue tenue, nous allons entendre se constituer la vie ; voilà de ces choses qui échappent au domaine de la parole, et que seule la musique, parlant sans intermédiaire à l’intelligence, peut tenter de nous faire concevoir.

Une seule note mystérieuse, fort grave, se fait d’abord très longuement entendre : c’est la nature qui sommeille ; à ce son fondamental, unique, primitif, vient s’adjoindre sa quinte ; longtemps après encore, l’octave ; puis peu à peu, tous les autres harmoniques dans l’ordre même où les produit la nature : puis des notes de passage, de plus en plus fréquentes ; des rythmes apparaissent, d’abord rudimentaires et se compliquent, se mélangent ; c’est déjà un commencement d’organisation ; les instruments s’ajoutent les uns aux autres, à de longs intervalles ; une sorte d’ondulation, régulière et cadencée, s’établit et donne le sentiment de l’eau en mouvement ; la sonorité s’enfle graduellement, envahit l’orchestre comme un torrent : l’agitation des vagues s’accentue, un frémissement s’annonce et grandit, faisant pressentir la vie, et lorsque