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Page:Lavignac - Les Gaietés du Conservatoire.djvu/103

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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

le plus élevé, du génie de Platon ou de la grande pyramide d’Egypte.

Or donc, en ce temps-là, je passais la soirée dans une des maisons les plus hospitalières aux artistes, où je présentais une de mes jeunes élèves, que vous connaissez déjà, Aglaé Lizière, pianiste dépourvue de talent, mais qui n’en avait pas moins décroché quelque chose comme une troisième médaille de clavier au précédent concours. En attendant qu’elle se fît entendre, les langues allaient leur train, et toutes les conversations, animées, enfiévrées, roulaient sur l’absurde question du jour : qui doit-on préférer, de Rubinstein ou de Planté ?

Les belles dames de l’aristocratie, qui avaient obtenu quelques leçons de Planté, à 100 francs la demi-heure, ne tarissaient pas sur sa supériorité ; celles, au contraire, qui arboraient sur leur cheminée une photographie de Rubinstein, avec une banale dédicace écrite d’une main ennuyée, le défendaient avec aigreur. Les deux clans s’exaspéraient l’un l’autre, sans se rendre compte que des deux côtés l’admiration pouvait être, était également justifiée par la valeur des deux artistes, et que le seul tort était de vouloir établir une supériorité entre deux arts n’ayant d’autre point de contact que l’instrument employé.

C’est alors qu’un vieux monsieur à l’allure de diplomate, cheveux et favoris blancs, constellé de décorations, qui se tenait depuis longtemps accoudé à la cheminée, crut devoir prendre la parole. Un silence se fit ; c’était quelqu’un :

— « Mon Dieu, mesdames, dit-il, c’est à peine si j’ose intervenir dans votre ardente discussion, car je ne me dissimule pas que je suis un profane en musique. Je vous avoue même que je n’ai jamais entendu ni l’un ni l’autre de ces messieurs ; mais nous avons l’habitude, nous autres, de raisonner sur des documents. Tenez, je viens de trouver là les pro-