Page:Lavignac - Les Gaietés du Conservatoire.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

et mansardé que les malheureux habitaient, au septième étage et à raison de 10 francs par mois, près de la zone militaire des fortifications, et dont tout le mobilier consistait en un grabat, une chaise de paille dépaillée, et un fourneau mobile, sans tuyau, d’un modèle parfait pour les suicides par axphyxie.

À partir de ce jour, telle fut leur vie :

À cinq heures du matin, le père se levait, laissant les enfants endormis, allait acheter quelques rogatons, rentrait et faisait la cuisine (?) pour la journée, ainsi que la lessive et les raccommodages. À huit heures, on partait pour le Conservatoire, afin de ne rien manquer de la classe de harpe ni de celle de solfège, qui avaient lieu à neuf heures, l’une un jour, l’autre le lendemain. De midi à quatre heures, on travaillait, et à cinq heures, on se trouvait chez le camarade répétiteur bénévole, qui, par fatalité, demeurait à l’autre bout de Paris. À sept heures, on mangeait les restes du matin, et les enfants se couchaient.

Quand il les voyait bien endormis, le père songeait alors à gagner leur vie pour le lendemain. Avec des précautions inouïes, il descendait par les escaliers vermoulus le lourd et précieux instrument, et, le chargeant sur son dos, il s’en allait chanter des chansons vosgiennes devant les terrasses des cafés aux environs de la Bastille, en s’accompagnant comme il pouvait ; car, avec une intuition qui tient du prodige, par un effort de volonté comme seul pouvait en inspirer à cet homme au cœur maternel le sentiment de la détresse de ses petits, il s’assimilait tellement les leçons données à l’enfant, et auxquelles il assistait toujours, qu’il était arrivé à jouer de la harpe, en dépit du bon sens, bien entendu, mais enfin il avait au moins l’air d’en jouer. De café en café, jusqu’à la fermeture, une heure ou deux heures du matin, il